jeudi 25 novembre 2010

Liquid mordenity


1917, pour gagner les masses, la révolution Bolchévique fait appel aux artistes, c'est l'agit-prop, la propagande activiste. Les frontières s'effacent,les actions répressives s'effondrent, des trains transportent des projecteurs de cinéma, acteurs de théâtre et poètes sillonent les campagnes, et le mois d'octobre prône une société vierge de statuts hiérarchisés où ouvriers et philosophes marchent côte à côte. Des artistes d'avant garde tels que Rodchenko et Malévitch donnent à leurs oeuvres une mission politique, bannière symbolique de nouveaux citoyens. Jusqu'à ce que le réalisme socialiste Stalinien prennent le dessus, préférant un style inféodé au pouvoir.


Cinquante ans plus tard, Andreï Molodkin, qui a pour coutume de piller la culture contemporaine, en prendre ses principaux emblêmes pour les associer sans vergogne à de hauts termes (democracy, justice, war) et sigles économiques (dollars, euros); décide enfin d'intégrer les sigles révolutionnaires du père du suprématisme à l'or noir constituant le leitmotiv de son travail. C'est la moindre chose que l'on attendait venant d'un transgressif originaire russe prenant un malin plaisir à dénoncer le capitalisme et ses disgressions. Peut être était ce trop évident pour qu'il le fasse avant 1966.
Le cartel de ses after-Malévitch affirme que carré noir, cercle noir ainsi que croix noire sont bels et bien remplis de pétrole brut russe. En se retrouvant face à cela, l'effet parle tellement de lui-même que l'on a presque envie de rire devant tant de cohérence et d'évidence. La démarche cynique de Molodkin ici nous fait vite réaliser que même nos icônes modernistes, encombrées par les tuyaux emplits d'or noir, auraient tendance à s'écouler et donc à s'effondrer. Les symboles ne sont justement pas remplis à ras bord, ils commencent lentement à s'évider.
Le spectateur regarde et passe innocemment devant ce qui représente peut être la lente agonie des symboles avant gardistes du début du siècle.
Regarde et passe. C'est peut être à ce moment là qu'il faudrait se poser de grandes questions génériques sur le statut de l'art contemporain aujourd'hui, le système de financement des grandes institutions muséales,la montée en flèche parfois absurde des prix des oeuvres sur le marché de l'art, ou encore les grandes chasses à l'oeuvre annuelles qui prennent places dans les grands entrepôts où s'entassent les tout derniers espoirs de la modernité.



Etudié, analysé, épluché, le propos des avants gardistes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle n'a peut être plus autant la même autenthicité aujourd'hui. Les monochromes du XXIème siècle sont ils réellement comparable à ceux d'Yves klein? Comment être révolutionnaire à une période où la plupart des grands propos ont été découverts au préalable? Aujourd'hui, dans un musée, l'art est partout, croit-on.
Vous est-il déjà arrivé de vous extasier devant une grille d'aération au centre Pompidou en pensant qu'il s'agissait d'un sublime Mondrian? De confondre un gardien de salle avec une sculpture hyperréaliste? Cette marque de peinture semble bien se prendre pour une huile de maître.
Le large public semble avoir répondu à cette problématique lorsqu'il se déplace en masse pour la dernière exposition Gustave Courbet, Cabanel ou encore la dernière réunion des toiles de Rembrandt. Il passe et regarde salle aprés salle, se révolte devant une toile moderniste ou une installation ultra-contemporaine, clamant que son neveu de cinq serait largement capable de produire cette pièce et que "se serait plus facile pour gagner des millions". Le public se révolte devant la soi-disante apparente simplicité de la contemporanéité, alors qu'il tourne le dos à un La Tour.
Ne frôlez pas un touriste de Duane Hanson sens y prêtez attention. Tout est affaire d'observation, d'émotion, et parfois il ne faut pas chercher plus loin.

vendredi 19 novembre 2010

Les viscères d'un objet.

J’ai commencé comme peintre. (...) J’ai besoin physiquement, pratiquement, physiquement de toucher la couleur. Ayant trouver ce système pour capturer la peinture qui sort des tubes , en la prenant dans le Plexiglas ou le polyester, elle devient objet. La couleur devient objet. Je me suis beaucoup amusé avec ça. J’ai fait des oeuvres monochromes, d’autres très colorées : j’ai refait le peintre." Arman, Entretien avec Daniel Abadie, "L’archéologie du futur" (Cat. Jeu de Paume, 1998)

Plusieurs notions viennent à l'esprit au regard du travail d'arman, elles partent de la colère jusqu'à l'apaisement. La sérialité de ses oeuvres éclatées - étalées sur la toile, empilées, violons, pianos, tubes de peintures masques à gaz- peut autant fasciner que lasser. Elle transfigure à la fois la principale qualité ou la simple caractéristique de l'oeuvre. Bien loin de là, les deux lignes majeures du travail d'un des principaux membres fondateurs du Nouveau Réalisme, se matérialisent en le geste, héritier de sa passion pour les arts martiaux, ainsi qu'en l'objet. L'objet comme vecteur de formes artistiques nouvelles. C'est ainsi que l'artiste applique ses gestes automatiques au grand format hérité des grandes avants-gardes historiques telles que Picasso, Kurt Schwitters ou encore le groupe de Stijl. Telles sont les sources du collectioneur obsessionnel de déchets et objets manufacturés en tout genre. Au fur et à mesure que sa propre carrière se développe, l'objet s'impose peu à peu dans le cadre pictural en s'appuyant sur la notion de quantitativisme.
Lorsqu'il mène le procédé de l'accumulation à son paroxysme en 1960 avec l'exposition Le plein faisant face à celle de son ami Yves Klein -le vide-, qu'on prend conscience de l'immense qualité ironique habitant le nouveau réaliste. Et c'est bien là le réalisme que l'on apprécie chez lui.

En réalité Arman joue ironiquement avec le spectateur, face à cet explosion d'objets sur le cadre pictural aux dimensions immenses, il nous mène avant tout vers une grande confusion tant intellectuelle que visuelle, pour finalement signer ironiquement d'une phrase simple, la plupart du temps si simple qu'elle nous ramène à l'essence même de la toile. Une toile habitée d'objets, une toile simple, un geste qui touche profondément une sensibilité naturelle et évidente. Jusqu'au jour où il nous fait prendre conscience que l'objet en lui même peut être encore plus signifiant que son image reportée.

jeudi 18 novembre 2010

Jacques Derrida - Point de folie - maintenant l'architecture


In 1985, the architect Bernard Tschumi invited the french philosopher Jacques Derrida for a collaboration on the design of a section of the parc de la villette in Paris.
Thus architecture called philosophy here for a project which was a conceptual structure rather than a single material form.
Derrida accepted the invitation and wrote an essay about the project calling it Point de folie-Maintenant l'architecture which is questionning about the uneasy relationship between a certain kind of thinking (philosophy) and a certain kind of space (architecture). That was the first appearance of architecture in derrida's writing (he then turned to architecture, twenty years after). The essay was first published in 1986 with a collection of drawings and then in 1987 in his collection of essays. He also collaborated with the architect Peter Eisenman in the detailed design of a particular section of the La Villette project.
With this negociation between Derrida and Tschumi, the limits of both architecture and philosophy were truly disturbed and both entered in a new way of thinking each of their own domain.
This reflection developed a new question about deconstruction and architecture.
The essay consist on a serie of notations from the folies of Bernard Tschumi from point to point.
(1-8) At the very first beginning of the essay Derrida first speak about the state of architecture today. He makes a critic of the term ''post'' which distinguish before and after moments or movements in art and specially architecture, but actually Derrida put the essential point on the now, using the french word maintenant considering that this just now isn't a fashion, a special period or era.
We can see here, that Jacques Derrida isn't opening a discourse on big questions such as whats is architecture? Or what are the major movements and periods of architecture ? Cause for him:
architecture no longer defines a domain
, architecture seems to define ourselves but only in a way that the space wich reaveals us is still marked by architecture.
Here we can notice that what gave Derrida his first ideas on the project was his personal re reading of Plato Timeus. The main philosopher's source was indeed the section in Temeus where Plato is talking about Chora (which means place in greek). According to plato, the architect-demiurge gives birth to our visible world and the forms of the world, which are eternals, were thus the origin of our sensible view. So, according to him we have two kinds of being: the eidos, eternal and unchanging and the becoming world as the sensible. And there is something else, the third element: the titron-genios which is the place in all those types are inscribed, the Chora. It is the spacing which is the condition for everything to take place.
That's were derrida wanted to place the just now of architecture. A virgin place which receives everything or gives place to everything. And he had to link it with tschumi's work on La villette.
But first of all, Derrida remains us that there is an architecture of architecture, it has a story, we take it for nature but this is an artifact and a construction, that's not natural and its heritage determines our economy, law, religion, all the places of death and birth, our education, etc. It's an evolution itself and throught all its mutations certain invariables are remaining. So derrida sees four points of invariables: the law of oikos (house habitation) as the symptom of modernity;
the architectural organization and the seating of the foundation: architecture will materialize the hierarchy in stone or wood; the fact that it is always a question of put architecture in service and at service; and this order depends on fine arts throught big values such as beauty, harmony and totality.
These four points seems to represent the coherent continuity of all the system and they finally construct all the theory and criticism of architecture. At least, it regulates all of what is called Western culture.
'' There is no work of architecture without interpretation, or even economic, religious, political, aesthetic, or philosophical decree. ''

(9)But the folies of Tschumi are destabilizing the meaning, they put in question the system, deconstruct the edifice of this configuration and as this configuration presides what we call architecture, the folies could get rid of it and lead back to the desert of anarchitecture. But they do not doing that, the folies rather enter into the ''maintenant'',it renew and reinscribe architecture, reviving it and return to what it should have be.
We have to bear in mind that the folies don't destroy, tschumi always talks about deconstruction and reconstruction but not destruction. Without proposing a new order, the folies locate the architectural work somewhere else where it won't obey the external aesthetics imperatives. Indeed, Tschumi was worried about constructing a place made for pleasure where each folie will have its own cultural, pedagogical, scientific and philosophy finality.
(10-11) In these folies, the event takes place in a serie of experiences constructing a road from point to point counting experiences and new experiments. Thus this structure leaves opportunities for chance, questionning, transformations, … These points are saw by Derrida as cubes forming a structure of the grid.
And even it the folies are inscribed in seriality, it does not stop. The serie of experiments called sketches, essays, photographs, models, etc. belongs to the folies at work, they haven't the value of mere documents but fully take part of a language on itself, an another meaning thant classical aesthetism.
Whilst Derrida was working on la vilette project, he had to bring is idea to the language of deconstruction. Beginning in the late 1980s, deconstruction is based on ideas of fragmentation, manipulation ideas of a structure's face or skin, non-rectiliniar shapes which serve to dislocate some of the elements of architecture such as structure or envelop. And the folies urges us towards in the route of deconstruction. Not a deconstruction which have first to measure itself against institutions (politic structures, civil society, bureaucracy, capital, science, technology...).
(14)Tschumi, in his work, speaks a lot about descontruction, destabilization, disjunction, or even difference, but Derrida points the fact that no work results from only a deplacement or a dislocation therefore invention is needed. According to him, we must trace another writing and the ''maintenant'' of architecture would be this writing which joins the differences all together creating a singular assembling.
In this specific part of the essay, Derrida's made a reference to Heidegger's thougths in which he is saying that architectonics represents only one epoch in the history, a specific possibility in the assembling.
'' at La Villette, it is a matter of forming dissociation. Putting dissociation into form necessites that the support structure be structured as a rassembling system'' Tschmi, madness and the combinative, 1984.
(15)The dis joint itself in now architecture arrests thus the madness in its dislocation. It's not only a point of joining the dis joint, it's ''an open multiplicity of red points'' with force of magnetic attraction. And, in each point of folie the experiences of the parc will find their places. Here the now or maintenant in which each point converged, stopping the madness, makes the link with architecture which it in turn deconstructs.
Derrida insists here in the fact that, as Tschumi said too, whilst each point is a breaking point, interrupting the continuity of the grid, the interruptor do maintains the whole together. This clearly embodies a mad relationship between the socius and dissociation. This red point space thus maintains architecture in the dissociation of architecture. But, there is something different, this maintenant does not maintain a past or a tradition.
(17)This architecture is an other architecture, somethin g stranger from classical and historical architecture. And as its an architecture of the other, it is nothing that exists. As Derrida's first reference, the Chora cannot be represented, it's a challenge to anything solid or something built. This architecture of the other is not the present or the memory of past, and it presents neither theory, ethics or politics. Indeed, it does not present it but it does give a place to all of it.
it anticipates architecture to come. It runs the risk and give us the chance
.

jeudi 26 août 2010

Le suprématisme: révolution esthétique au service de la nouvelle perception du monde

Il n'est sans doute pas facile, même pour le créateur lui-même dans l'intimité de son expérience, de discerner ce qui sépare l'artiste raté, bohème qui prolonge sa révolte adolescente au-delà de la limite socialement assignée, de l'"artiste maudit", victime provisoire de la réaction suscitée par la révolution symbolique qu'il opère.
Pierre Bourdieu, les règles de l’art.

Le contexte qui vit naitre une des premières révolutions symboliques du XXeme siècle se situe au carrefour de plusieurs révolutions : La Révolution Industrielle, et les Révolutions Russes, qui feront passer le régime russe du Tsarisme au Communisme. Un tel climat historique a logiquement conduit à une tentative de remise à zéro des valeurs de l’art et de la culture. Son provocateur, Kasimir Malevitch, se plongeant tout d’abord avidement au cœur de l'étude de l'impressionnisme, du cubisme, du futurisme, de l'expressionnisme, de l'abstraction ou encore du constructivisme russe, voit sa pensée subversive et indéniablement moderniste se former peu à peu pour clairement se formuler en la date cruciale de 1915. C'est à cette date que Malévitch signe ce qui constituera la pérennité de la totalité de son œuvre, une toile intitulée Quadrangle également connue sous le nom de Carré noir sur fond blanc. Malgré le fait que le peintre ai débuté sa carrière quinze ans plus tôt, l'exposition de cette toile à la Dernière exposition futuriste 0,10 dans la ville de Petrograd, marque le point de départ de la formulation de sa pensée propre. Cette toile aujourd'hui conservée à la galerie d'État de Tretiakov à Moscou, fait de son créateur une figure mythique de l'art d'aujourd'hui, chef de file de toutes les avants gardes russes de son temps.
(…)
Avec la montée des avants gardes russes, le vingtième siècle semble incarner de loin un des siècles les plus controversé de toute l'histoire de l'art. En Europe, aux États Unis comme en Russie, l'artiste rejette quatre siècles d'académisme, se confrontant alors à une dimension étrangère à cette nouvelle histoire de l'art: la réalité sensible de l'être. Parmi les avants gardes les plus puissantes tentant de traduire cette nouvelle sensibilité artistique, trône l'école Russe du XXe dont les partisans se qualifiaient eux-même en Russie comme les dignes représentants de l'Art de la Gauche. L'émergence de ces peintres de la gauche soviétique annonce la révolution populaire du milieu de la première décennie du siècle. Parmi eux se trouve Kasimir Sévérinovitch Malévitch, jeune peintre ukrainien, dont les premières toiles inspirées du monde populaire et surtout paysan, aspirent déjà un aspect révolutionnaire. Participant tour à tour à la formation de la société récessionniste clairement opposée à l’art des ambulants, aux expositions publiques La guirlande et Le valet de carreau, ou encore l’opéra Victoire sur le soleil composé en langage zaoum, langage alogique et transmental ; Malévitch accompagné des artistes larionov et gontcharova marquent le point de départ d'un bouillonnement inouï au sein de ce nouveau groupe émergeant qui, comme en Europe, prend source dans la création purement populaire et dénigre le soucis de toute perspective renaissante au profit de l'expressivité de l'être. Décembre 1915, le peintre est appelé à la Galerie Dobychina dans le cadre de l'exposition Dernière exposition futuriste 0-10 sous la directive du peintre Jean Pougny. Il y expose une trentaine de toiles, préparées pendant l'été 1915, fondées sur cette absence totale de référence à l'objet du monde palpable, parmi elles figure et règne le Carré noir sur fond blanc ou Quadrangle qui deviendra le symbole de la pensée Suprématiste. Avec cette succession de toiles, toutes exposées dans une même salle et composées de formes géométriques pleines rouges ou noires sur fond blanc, à laquelle s'ajoute la distribution d'une plaquette écrite de sa main intitulée Du cubisme au futurisme, au suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, Malévitch annonce non seulement que l'art doit se manifester autrement que par la traditionnelle peinture de chevalet mais aussi que l'artiste doit incontestablement se diriger vers le domaine de la pensée et de la spéculation. En cela il entreprend une relation très étroite avec l'écriture, relation sûrement aussi importante que celle de son contemporain Kandinsky avec la musique. Avec la publication de cette plaquette, Malévitch diffuse définitivement sa pensée artistique et démontre le fait qu'à l'image de la Grèce antique, art et philosophie ne font qu'un et défendent le dénuement total de l'être en lui même. En cela, Malévitch reprend parfaitement la phénoménologie Heideggérienne et l'applique à l'art.

« C'est par la mise entre parenthèse de l'étant que le regard est rendu visible pour l'Être. » ( J. Beaufret, Dialogue avec Heidegger, tome III 1974).

Cette plaquette, même si elle n'en obtiens pas réellement le statut, fera office de manifeste de la pensée suprématiste dont Kasimir Malévitch se place l'unique créateur. Il signe ainsi de son nom, ce qui constituera un tournant consécutif de sa carrière. A travers l'initiative de 1915, le peintre ukrainien va complètement bouleverser la pensée artistique du vingtième siècle. L'artiste n'est désormais plus enclavé dans un certain savoir-faire habile doctriné par les Académies, c'est un être spirituel revendiquant une pureté morale et philosophique par la radicalité des formes picturales pures. Malévitch, en réfutant tout art figuratif, condamne les traditions académiques inadaptées à la modernité de son temps. Avec la même violence avec laquelle il représente l'avant-garde Russe, le peintre rejette cet art qu'il qualifie lui même de pornographie picturale. Il condamne ainsi ses contemporains amateurs de tradition classique, perspective renaissante et dignes héritiers de canons antiques. Tour à tour, à travers ses écrits de 1915, Malévitch rend compte du puritanisme académique en villependant un art de la peinture, de la sculpture et de la parole qui n'ont été jusqu'ici qu'un « chameau bâté de tout un fatras d'odalisques, d'empereurs égyptiens et perses, de Salomés, de princes, de princesses avec leur toutous chéris, de chasses et de la luxure des Vénus impudiques.»
Il trouve ainsi en les figures de Cézanne, Monet ou encore Van Gogh, les jalons de la purification picturale qu'il entreprend. Au sein des toiles de Cézanne, qu'il considère à juste titre comme l'un des artistes les plus puissants, l'objet se dissout progressivement dans le pictural et l'expression des éléments picturaux se fait à travers la sensation. Cependant, son obsession de pureté tant picturale que morale le pousse à penser que même chez les cubistes et les futuristes, la peinture n'a pas atteint l'intégralité de son but autonome. En réalité, c'est dans la déduction abstraite puis Suprématiste que la peinture se trouve entièrement pure. En ce début vingtième, l'avant-garde Russe devient alors parmi une des plus extrêmes en glissant vers l'abstraction. Ce dernier mouvement constitue sans doute la ligne révolutionnaire dominante de l'art du siècle, elle est la révolution la plus forte de l'époque. Ce que Malévitch cherchera à matérialiser à travers ses tableaux suprématistes et notamment à travers le Quadrangle de 1915, semble être le fait que la forme convention naturelle doit être dépassée semblant, en réalité, non représentative de la réalité de l'être et de l'étant. C’est ainsi qu’il baptisera son œuvre Quadrangle justement parce que son carré n'est pas géométrique ne représentant ni parallélisme, ni égalité des angles droits. Le monde formant, selon Malévitch, un cercle confinant l'individu, son regard ainsi que toutes les formes de la nature dont il faut définitivement se libérer. Cette libération se fera par le remplacement des formes de la nature par des formes totalement abstraites en art qui permettront d'étendre la pensée au delà de l'horizon circonscrit. Avec le carré noir sur fond blanc, l’artiste unkrainien atteint la suprématie de cette pensée et présente ce qu'il considère comme la forme génératrice de l'essence de l'être. Ce carré que j'avais exposé, écrit-il, n'était pas un carré vide mais la sensibilité d'absence d'objet. Ainsi cette forme géométrique pure qu'incarne le carré, englobe dans sa radicalité toutes les autres formes qui ne sont pas présentes sur la toile, c'est par la simplicité de sa forme qu'il fait apparaître l'absence des formes, la totalité du monde sans objet. L'apparition de ce carré noir marque par conséquent l'éclipse totale des objets. De plus, de par la place qu'il lui confère lors de la dernière exposition futuriste 0-10, Malévitch le situe et le caractérise comme la forme et l'être pictural absolu déterminant la naissance de tous les autres. Trônant au plafond à quarante cinq degrés dans le coin supérieur de la pièce, le carré régit clairement les autres formes picturales exposées et, par conséquent, le monde sans objet que Malévitch considère être l'unique monde vivant. Avec cette initiative, le peintre russe a atteint le zéro des formes c'est à dire le rien comme essence des diversités. A la forme majeure du carré s'associe de façon systématique l'utilisation de la couleur ou plutôt de ce que l'on considère comme deux non-couleurs à savoir le noir et le blanc. Comme beaucoup de ses contemporains avants gardistes, Kasimir Malévitch n'associant pas sa peinture à quelconque dimension figurative, aborde une utilisation non-mimétique des couleurs. Ainsi, il considère qu'un fond blanc se prêtera mieux qu'un bleu officiel pour suggérer la profondeur de l'espace. Le peintre voit à travers ces bases colorées, deux pôles capables de produire de l'énergie. Le mouvement de ces masses colorées est indéniablement majeur au sein des toiles suprématistes car il est la traduction parfaite de l'abîme de l'être. En effet, malgré le fait qu'autant les signes fondamentaux suprématistes comme le carré ou la croix et la toile représentent des formes proprement dites, Malévitch les dissout au cœur même du mouvement pictural à travers le mouvement des masses colorées produit par l'énergie du noir et du blanc. Les formes réduites à leur essence absolue, disparaissent alors pour ne laisser vivre que cette énergie picturale et le suprématisme montre la relation d'attraction et de rejet des formes. En définitive, bien qu'elles soient sans rapport visuel direct avec la nature, forme et couleur semblent entièrement indissociables dans l'œuvre de Kasimir Malévitch. Elles sont alors toutes deux au service de la démarche de l'inapparent du peintre. Nous pouvons alors considérer le noir et le blanc comme l'alpha et l'oméga du vocabulaire artistique du père du suprématisme, entre chacune d'elle se situetout un ensemble de tableaux suprématistes aux couleurs vives. En cela, le carré noir sur fond blanc de 1915 placé en chef de file de la série de toiles présentées à la galerie Dobychina, règne à la fois par la suprématie de sa forme, ses couleurs et donc de son propos. Il devient, à l'image des icônes religieuses chéries par la population russe de l'époque, l'icône nue de la nouvelle pensée suprématiste, symbole de l'adieu définitif au monde visible. D'un point de vue tant plastique que philosophique, la pureté représente une sorte de leitmotiv de la pensée et de la création de Kasimir Severinovitch Malévitch dont le Quadrangle en est la parfaite application. (…) Loin de ne faire que scandaliser les critiques de 1915, le Carré noir sur fond blanc de Kasimir Malévitch constitue une œuvre qui ne cessera de provoquer débats et scandales. Tour à tour signature, leitmotiv pictural et bannière révolutionnaire, la toile semble représenter le parfait exemple de la condamnation par le rejet de l'art figuratif et la recherche obsessionnelle de pureté. Véritable révolution esthétique ouvrant la voie aux nouvelles perceptions du monde, Malévitch place la toile, afin de bien montrer que cette icône est le nouvel emblème, à l'instar du beau coin des demeures orthodoxes traditionnelles où les icônes religieuses trônent. Résorbant tous les autres éléments au sein du noir, du blanc et de la forme génératrice du carré, le propos du peintre s'articule clairement autour du fait que la peinture n'est en rien une icône qui doit être adorée mais que l'on doit dépasser. Ainsi, le Quadrangle de 1915, portant en lui tous les fondements de la pensée suprématiste, doit être alors perçu comme un élément à dépasser, une étape vers une nouvelle sphère de conscience, un nouveau mode de perception, une véritable liberté du regard en définitive. La démarche d'action picturale pure du peintre atteindra alors, trois plus tard, le paroxysme de ses fondements avec le Carré blanc sur fond blanc, comme l'aboutissement et solution de ses recherches sur le mouvement des masses colorées. Le suprématisme, dont l'influence n'est pas épuisée aujourd'hui encore, semble représenter un des plus grands courant conceptuel et constitutif du vingtième siècle. Son fondateur, véritable chef prophétique à la fois révolutionnaire et visionnaire, s'emporte dans ses nombreux écrits prônant une vérité méconnue. C'est cette même recherche de vérité qui lui vaudra une fin brutale de carrière. Ainsi, l'homme qui court de 1934 témoigne de son impuissance faute du visa qui aurait pu lui permettre d'être soigné en France, le peintre meurt des suites d'un cancer et sa tombe ainsi que le calandre de la voiture qui transporte son cercueil portent à ses devants le Quadrangle. Il possédait, outre le don de créateur du peintre, un esprit de chercheur qui aspirait à comprendre les causes de naissance des formes nouvelles dans l'art, un esprit conscient de la vérité de l'être et de son existence. Conscient de sa propre finalité, il confiera à son ami sculpteur Antoine Pexisnor, avec la même radicalité de propos que dans ses essais: « Nous serons tous crucifiés, ma croix, je l'ai déjà préparé. Tu l'as sûrement remarqué dans mes tableaux.». En dépit de la censure que subit son œuvre avec l'arrivée au pouvoir de Staline, l'art de Malévitch ne s'arrête pas au carré noir de 1915 qui constitue en réalité, un point de départ à la pensée suprématiste. Si le peintre aborde un retour à la figuration cinq avant sa mort, son regard ironique sur la société culturelle et artistique russe ne faiblit pas. Bien au contraire, en peignant un autoportrait renaissant en 1933, main ouverte comme tenant un carré invisible, il laisse derrière lui une œuvre définitivement subversive en la signant dans le coin inférieur droit, du carré noir sur fond blanc.

dimanche 25 juillet 2010

Marée noire sur la Tamise


L’art n’a pas de sens, si ce n’est celui de nous rappeler l’énigme de l’humanité – encore une fois la chose se confirme, clairement encré dans les crises contemporaines et surtout dans les plus vifs scandales qui bouleversent nos quotidiens. A priori donc, aucun rapport entre le groupe pétrolier BP récemment responsable de la marée noire frappant le golfe du Mexique et la Tate Moderne, institution phare de l’art britannique. Les apparences sont pourtant clairement trompeuses et c’est ce que la grande majorité des artistes anglais clame aujourd’hui en manifestant devant les institutions muséales londoniennes. Crise politico-culturelle sur Londres ? Pour sûr, ce n’est pas le prince Charles qui s’en souciera, trop occupé à faire tomber les derniers projets de restauration architecturale des Chelsea Barracks.
171 artistes dénoncent donc le 28 juin dans une tribune du Guardian les liens étroits entre la Tate, le National Portrait Gallery, le British Museum ou encore le Royal Opera et le conglomérat de l’or noir dont la générosité a été grassement reçue depuis deux décennies. Jugeant que le logo BP salit la réputation internationale de la Tate et que les institutions culturelles leur permettent de "dissimuler la nature destructive de leurs activités derrière la légitimité sociale" ; les artistes londoniens dont le dramaturge Caryl Churchill, disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Malheureusement cette révélation semble choquante dans un premier temps pour finalement ne pas surprendre tant que ça.
Où en sont aujourd’hui les institutions muséales ? De qui dépendent-elle et surtout d’où viennent leur fonds ? La réponse évidente semblerait être du pourcentage donné à la culture par la politique mise en place. Evidemment, si l’on se met à comparer les parts de la politique culturelle des différents pays de l’union, autant s’arrêter là tout de suite. Faut-il donc se révolter à l’idée que le fond principal des plus grands musées du Royaume Uni provient d’une entreprise venant de détruire une grande part du patrimoine environnemental du golfe du Mexique, ou bêtement se réjouir de leur contribution annuelle au développement culturel ?
Les musées londoniens répondent à cela dans un communiqué commun exprimant leur reconnaissance au groupe pétrolier "pour son engagement à long terme" et sa préoccupation de "rendre disponibles à l’audience la plus large possible nos programmes artistiques" .

What else ?