mardi 11 octobre 2011

Rapport 2011: l'essouflement des musées


La révolution de la création du ministère de la Culture de 1959 se trouve bien loin de la situation actuelle. Avec le tout premier ministre de la culture, "l'irrationnel" André Malraux, la France, bien que tardive comparée aux états Unis et aux autres pays de l'union européenne, touche enfin du doigt la chance de naître sur le plan de la gestion culturelle. Se trouvant à la tête d'une nouvelle institution au cœur du ministère intérieur, Malraux fait poindre une politique culturelle révolutionnaire et novatrice, mettant enfin à disposition du public les outils juridiques nécessaires à de vraies propositions à l'égard de la conservation, l'analyse et la présentation des collections françaises. Matérielles ou immatérielles, les ressources d'œuvres d'art dont regorgeaient les réserves des musées nationaux furent mis à jour sous l'interventionnisme du ministre assoiffé de culture, bien que critiqué et ralentit par le tournant de 1968.
Le temps est au rêve éveillé.

A l'heure actuelle, le ministre de la culture n'a pas le temps de déclarer comme son ancêtre, qu'il est " entré dans l'art comme on entre en religion ". Les préoccupations se placent sur un tout autre plan. La sonnette d'alarme est tirée, et le monde de la culture française, notamment celui concernant les musées nationaux, décompte sa chute, lente mais vertigineuse.
Avec la publication du Livre blanc sur les l'état des musées de France le 4 février dernier par l'Association générale des conservateurs des collections publiques de France, le corps de métier des musées, jusque là particulièrement discret, s'exprime sur la mise en péril de leurs institutions.
Le rapport des conservateurs regorge de critiques et de constat sur l'état des musées de France, qui construisaient jadis l'identité nationale. Le problème se pose évidemment à la base du fonctionnement du Ministère de la Culture et surtout à ce que l'État lui accorde.
On ne peut qu'aborder la rupture quantitative de l'arrivée de Jack Lang au ministère avec nostalgie, ne datant pas plus de trente ans. Et pourtant, les moyens budgétaires n'y sont plus reconnaissables quand la Culture disposait à cette époque de six millions de francs disponibles à son développement. Aujourd'hui, Frédéric Mitterrand, dont le service fût profondément affaiblît suite au ré-aménagement du ministère, ne dispose pas plus que moins d'1% du budget de l'état pour gérer tous les services culturels du pays. Avec un budget se contenant dans de telles conditions, autant dire que les conservateurs ne font que ramasser les miettes. Ce n'est donc pas une surprise s'ils se font entendre aujourd'hui, et l'état risque de bien les entendre. Les solutions ne tombent pourtant pas sous l'évidence.
Le premier point du Livre blanc, que l'on pourrait appeler plus judicieusement livre noir, s'adresse au statut changeant des musées, dirigés aujourd'hui selon une logique ultralibérale, bien loin de ses origines. Le service de base public, face à ces restrictions budgétaires massives, se voit transformé en véritable entreprise lucrative. "Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes que les hôpitaux et universités", commente Christophe Vital, président de l'association. En effet, la situation est telle que certains musées se voient obligés de s'autofinancer, ce qui semble pourtant impossible. Qu'est-il donc arrivé au statut originaire d'institution publique à caractère administratif, ne devant à la base gérer ses services qu'à l'aide de l'état et d'un système de mécénat? Il n'en est plus, ou presque plus.
Le rapport est tel qu'il en expose les conséquences: certains musées ne possèdent même plus de système de climatisation suffisant à la bonne conservation des peintures, celui des Augustins de Toulouse a même du fermer pendant l'été 2009, ne se trouvant plus dans la possibilité d'ouvrir ses collections au public. Beaucoup d'institutions rapportent que leurs réserves se trouvent en état de péril, y compris dans de grands musées parisiens, où les œuvres fragiles s'entassent, les équipes muséales assistant impuissamment au spectacle.
Le seul moyen de survie devient alors l'organisation intempestive d'un grand nombre d'expositions temporaires hors budget attirant le grand public. C'est ainsi que depuis plusieurs années se dresse un défilé d'évènements tels que Manet, Courbet, Giacometti, Munch,Koons... un événementiel à gros chiffres qui délaisse malheureusement des projets d'expositions inédits et refusés d'entrée par peur d'un manque de visiteur.
L'heure est à la préoccupation d'évènements "rentables" tandis que le pourcentage du mécénat pointe dangereusement vers le bas. Les mécènes se détournent alors des grands musées n'y trouvant plus leur intérêt.


Autant dire que la France est rentrée dans un cercle vicieux dont il sera très difficile de ressortir.
Peu à peu ces nouveaux musées-entreprises affirment leur différence, et ceux qui peuvent se permettre l'organisation de ces expositions évènements de grande masse n'hésitent plus à le faire, laissant ainsi les plus petits musées sur le banc de touche, évidemment souvent de provinces. Un écart saillant est donc en train de se former entre petits et grands musées. Les derniers, conscient qu'ils peuvent posséder un chef d'œuvre de marchandise, n'hésitent également pas à passer outre la déontologie des musées dont la logique qui en découle serait le prêt des œuvres entre institutions. C'est ainsi que Le Louvre vend sa marque en louant certaines de ses œuvres à Atlanta ou Abou Dhabi. Le musée phare national français en vient donc à se détourner de la circulaire du ministère de la culture de 2007 stipulant que les collections ne se monnayent pas, elles ne peuvent être assimilées à une marchandise, un prêt ne peut être assimilé à une location.
A titre de résultat, les musées de provinces, n'ayant rien ou peu à monnayer et ne recevant rien ou peu en prêt de la part des autres institutions, se voient dans l'impossibiliter d'organiser ce genre d'exposition à public et donc se retrouvent dans un état de pauvreté franchement alarmant. En résumé, le constat est là: sur les 1 214 musées de France, un sur deux réalise moins de 10 000 entrées par an, alors que le Louvre en reçoit près de 10 millions.

Enfin, le rapport non moins salé du petit livre noir sur l'état des musées se referme, dressant une facture lourde non seulement pour les institutions mais aussi pour le personnel dirigeant. C'est ainsi qu'en même temps que le musée se trouve en danger, le poste de conservateur également se trouve sur un terrain glissant. Avec un effectif baissant de 20 à 30% en dix ans, le pion qui fut auparavant la pièce clé de l'échiquier se retrouve en compétitions, si ce n'est en position claire d'infériorité avec de vrais chefs d'entreprises, gestionnaires ou énarques. Les formations telles que HEC vont pouvoir remplir leurs effectifs,le statut de conservateur de musée changeant considérablement, le conservateur historien passionné d'art se retrouve relayé au fond pour ne plus être considéré à sa valeur originelle. Les amateurs d'art en tout genre vont devoir s'armer de courage quand on sait que les futurs programmes d'expositions seront peut être organisées un jour par un économiste ou financier dont le seul but sera de compter les entrées et dont le but didactique, scientifique et de délectation du musée lui semble complètement inconnues et absurdes.
Cependant, l'heure est aussi à l'autocritique, ce que Vital assume et en prend la responsabilité, afin d'éviter une certaine disparition progressive l'heure est aussi à la remise en question du côté des conservateurs, afin de parvenir à de véritables solutions et interventions étatiques efficaces.