samedi 30 juillet 2011

Hommage de chair, Lucian Freud


L'Histoire de l'Art ne s'arrête pas à une succession de toiles à analyser, c'est aussi et surtout une question d'émotions, de sensations. Une idée qui se trouvait à l'épicentre de la carrière de Lucian Freud, l'un des derniers peintres hyperréalistes contemporains. Le petit fils du psychanaliste Sigmund Freud né à Berlin le 8 décembre 1922 obtenu la nationalité Britannique lorsque sa famille du fuir le nazisme allemand. Dès le début de sa carrière sa longue série d'autoportrait l'amena à rencontrer Francis Bacon avec qui il se lia d'une grande amitié et d'échanges artistiques majeurs. Tous deux furent alors caractérisés par l'étiquette d'Ecole de Londres, naturellement mise en opposition avec l'école Parisienne contemporaine. Parmi ses figures d'inspiration, aux côtés de Bacon, trôna Alberto Gicaometti dont la représentation du corps le guidera plus tard vers une nouvelle interprétation de la chair quelque peu inédite.
Petit à petit, le peintre allemand multiplie les peintures d'atelier, les intérieurs habités d'objets du quotidien, les vues urbaines et impressions végétales.
Arrivé aux années cinquante, Lucian Freud laisse de côté les traits lisses anguleux aux penchants parfois surréalistes qu'il réfute entièrement, pour adopter une technique changeante, partant du centre du chassis pour aller jusqu'aux périphéries, laissant tomber toute idée de dessin préparatoire.
Suite au passage à la 27° biennale de Venise où il y présente le fameux énigmatique portrait de Bacon, Freud troque ses pinceaux fins pour des brosses en poils de porc lui permettant l'empatement surexppressif dont sa peinture en est la principale caractéristique.

Freud construit peu à peu son style arborant une expression violente, mise à nue. Le peintre adopté britannique joue ainsi avec les points de vue inhabituels en parallèle avec des poses inattendues de ses modèles de chair nue. Malmenant le modèle classique du nu, Freud dépeint une chair crue, débordante et dégoulinant sur les tissus abîmés des fauteuils poussiéreux de son atelier. Freud veut peindre une vérité teintée d'érotisme et de grande poésie. Depuis des siècles pourtant, nous savons bien qu'académie est synonyme de nu. Pour Freud, il ne s'agit manifestement pas du même "faux" nu. La chair du peintre est accidentée heurtée et détendue à la fois, au coeur d'un cadrage la plaçant aux antipodes des conventions. Les tissus se déposent, à travers les grands coups de pinceaux verticaux, sur un cadre parfois même inachevé, fenêtres ouvertes sur la vérité d'un corps souvent ingrat.
Le peintre expose une vérité moderne comme si sa mission était de nous représenter la vision de l'enfant dont parle Beaudelaire dans Le peintre de la vie moderne:
Il assistait à la toilette de son père et contemplait avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleur de la peau, nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines.

C'est ce que le spectateur découvre avec stupeur et fascination face aux toiles de Lucian Freud, ressentant un certain malaise devant une vérité transcendante. Chez Freud, et pas seulement à cause de son grand père, une dimension psychanalitique se fait ressentir autant dans ses nus que dans ses autoportraits, inédits par le point de vue et la place du miroir, une provocation à la fois cachée et déballée devant nos yeux ébahits. Car même si la frontalité des chairs s'expose sans retenue, la dimension psychique des modèles semble aller bien plus loin. C'est pourquoi Freud n'est pas tout à fait un peintre réaliste. Nous nous trouvons bien loin d'une représentation minitieuse et microscopique, nous touchons plutôt une illusion de la vraisemblance à travers la densité d'une présence.
Essuyant plusieurs rétrospectives de son vivant, Lucian Freud acquit trés rapidement une notoriété internationale florissante, ses toiles ont remodelé l'art britannique. Décédé ce mercredi 20 Juillet dernier, le monde de l'art contemporain perd avec lui un grand poète.